Sites en mutation
C’est en 2015 que ma recherche artistique s’est concentrée autour de la mine à ciel ouvert de Tagebau Garzweiler située en Allemagne, entre Aachen et Dusseldorf. Durant 5 années, j’ai effectué une vingtaine d’aller-retour entre Bruxelles et Tagebau Garzweiler. Un protocole minimaliste a été établi pour collecter les sons et les images vidéo : se rendre seul sur le terrain muni d’un matériel léger, un appareil photographique réflex 24X36 couplé à un micro de type Zoom H6. J’ai filmé les structures urbaines et industrielles, parfois habitées ou traversées par des humains. Le son est celui de la prise de vue, le point d’écoute est souvent identique au point de vue. La durée des prises de vue et de son varient entre 1 minute 30 et 5 minutes. Les images filmées sont des plans fixes ou des panoramiques.

La mine est le point de départ des prises de vue et de son. La zone d’extraction est définie comme épicentre d’un système d’ondes de destructions/constructions. En suivant ces ondes, je filme Immerath un village en destruction (qui se trouve sur la zone d’extension de l’extraction minière), Neu-Immerath ( un nouveau quartier construit et accolé à une petite ville qui accueille les habitants déplacés, c’est-à-dire celles et ceux qui ont perdu leur maison dans le village détruit) et enfin la centrale thermique de Niederaussem alimentée par le lignite extrait de la mine de Tagebau Garzweiler.

Ces 5 années de terrain, d’accumulation de plans vidéos et de sons ont conduit à la réalisation d’un moyen-métrage de 20 minutes co-produit par les ateliers de production Graphoui. Deux séries de dessins, l’une sur papier l’autre sur calque, complètent le film. Une publication papier et une exposition rassembleront l’ensemble des archives, film, livres lus, dessins et textes produits autour du projet Tagebau Garzweiler.
La mine à ciel ouvert de Tagebau Garzweiler doit mettre fin à l’extraction entre 2035 et 2045. Un projet de lac et de station balnéaire recouvriront la zone d’extraction, un plan est à l’étude dans un bureau d’urbanisme.

Le site minier contient une sorte de feuilleté spatio-temporel : l’image du trou béant de la mine de 48km2 nous renvoie au temps passé des villages détruits pour installer le site d’extraction. Le temps présent est celui de l’extraction du lignite pour alimenter en ressource énergétique les centrales environnantes. Le lac dont les travaux d’achèvements complets sont annoncés pour 2100 est l’image d’un futur spéculatif.

Pour lier cela à une réflexion en provenance de la critique de l’économie politique, l’image d’un futur du paysage (station balnéaire, environnement bucolique) recouvre l’image du présent (et du passé), paysage de destruction, comme le capital fictif recouvre le capital réel.

Pour le dire autrement la logique de l’industrie nous vend une image d’un futur idyllique toujours projeté plus loin, tant à travers l’image d’un monde et d’une nature apaisée (grâce au progrès et à l’industrie puisque le site sera plus naturel qu’auparavant) que celui d’un capital fictif et de ses bulles financières en cascades qui s’éloignent toujours plus d’une production réelle de valeur. Précisons qu’il n’y a pas là un choix à faire entre un bon capital issus de l’industrie réelle et un mauvais capital branché à l’industrie financière. Le capital, le travail et la valeur produite matérialisée dans la marchandise sont les ressorts qui dessinent un environnement social et urbain à son image.
Des paysages marqués au fer rouge de la logique marchande où le vivant est laissé pour mort, le concret dissout au principe de l’abstrait. Logique où l’abstrait, la valeur produite par le temps de travail moyen socialement nécessaire, éreinte le concret. L’extractivisme, subi plus que choisi, reste branché à la nécessité absolue de la machine capitaliste de maintenir les moyens techniques de sa reproduction. Les nombreux villages détruits pour laisser place à l’extraction du lignite, ressource fossile plus polluante que le charbon, sont l’expression même du rapport social inscrit dans l'industrialisme.

Une dernière chose qui n’est pas négligeable, sur le plan géopolitique, l’extraction du lignite a donné une certaine indépendance énergétique à l’Allemagne depuis le début du XXème siècle. Par contre, le lignite n’est pas une ressource exportable car son rapport calorimétrique est trop faible. C’est d’ailleurs ce qui explique la proximité des centrales thermiques à moins de 10 km de la mine. Plus la distance entre le lieu d’extraction du lignite et son utilisation est grande et plus faible est son rendement. Cela provient du taux important en eau que contient le lignite, ainsi que d’autres impuretés.

C’est ce récit d’un site en mutation, d’un processus toujours ouvert que je tente de rendre visible dans mon projet artistique.